Actualité

SEEPH 2023 : diffusion de la saison 3 du podcast Rebond, vivre avec le handicap - Le Monde avec l'Agefiph

3ème saison du podcast Rebond : numérique, emploi et handicap, en partenariat avec Le Monde Le Monde - Agefiph

Tout au long de la 27 ème Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, du 20 au 25 novembre 2023, le journal Le Monde, en partenariat avec l’Agefiph, publie 5 nouveaux épisodes du podcast « Rebond, vivre avec le handicap ». Pour cette 3ème saison, Rebond colle au thème de la Semaine en questionnant : la transition numérique, accélérateur pour l’emploi des personnes handicapées ?

« L’intelligence artificielle ouvre des perspectives énormes pour aider les personnes en situation de handicap », Estelle Peyrard d’APF France handicap

Qui est concerné par l’illectronisme ? Quelles conséquences sur la vie de tous les jours ? Comment les personnes en situation de handicap s’emparent-elles du numérique ? Comment sont imaginés les logiciels, les applications, les sites Web pour qu’ils soient utilisés par tous ? Le numérique est-il un secteur adapté pour les personnes handicapées?

Cette année, pour la 3ème saison, le podcast "Rebond, vivre avec le handicap" du journal Le Monde, en partenariat avec l’Agefiph, rencontre 5 spécialistes du numérique pour les personnes handicapées pour faire le tour de la question.

Rebond éclaire le sujet en l’abordant sous différentes facettes : l’illectronisme, l’intelligence artificielle, l’accessibilité numérique, l’usage du numérique par les personnes handicapées, le secteur et ses métiers.

En une vingtaine de minutes, Jean Deydier de We Tech Care, Estelle Peyrard d’APF France handicap, Luce Carevic d’Access42, Philippe Trotin de Microsoft, Anthony Babkine de Diversidays, spécialistes du numérique, décryptent le sujet et témoignent des solutions concrètes pour les personnes handicapées pour que le numérique soit une opportunité pour tous.

L'Agefiph soutient le podcast Rebond depuis sa création en mars 2022. (Ré)Ecoutez les témoignages de Dominique Farrugia, Elie Semoun, Samuel Le Bihan, Charles Gardou, Gringe ... quelques-unes des 17 personnalités qui ont témoigné de leur rapport au handicap, la façon dont elles y ont fait face.

« Rebond, vivre avec le handicap » est un podcast écrit et animé par Isabelle Hennebelle et Joséfa Lopez pour Le Monde. Mixage : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib. Reportage : Marjolaine Koch. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine. Partenaire : Agefiph.

Écrire un mail, postuler à un emploi, prendre un rendez-vous avec un médecin ou payer ses impôts, demander des droits sociaux… aujourd’hui, il faut être connecté pour accéder à la plupart des services du quotidien. Pour une majorité de Français, ces démarches sont simples. Mais pour 13 millions de personnes dans l’Hexagone, c’est un parcours du combattant, car elles ne maîtrisent pas les outils numériques. On appelle cela « l’illectronisme ».

Qui est concerné ? Quelles conséquences sur la vie de tous les jours ? Quelles solutions pour y remédier ? L’accessibilité numérique universelle est-elle possible ? On en parle dans « Rebond, vivre avec le handicap » (saison 3), un podcast du Monde réalisé en partenariat avec l’Agefiph, à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes en situation de handicap (SEEPH).

Pour répondre à ces questions, Le Monde a interrogé Jean Deydier, fondateur d’Emmaüs Connect et de WeTechCare, deux associations consacrées à l’inclusion numérique. 

Bonjour, bienvenue dans ce podcast, je suis Josefa Lopez, journaliste au Monde et je reçois Jean Deydier fondateur d’Emmaüs Connect et de WeTechCare, deux associations consacrées à l’inclusion numérique. 

A quoi correspond l’illectronisme ?

C’est un sujet très vaste, mais, globalement, c’est le défaut de compétences numériques de base dans les interactions avec le digital. Au quotidien, cela peut prendre différentes formes : ne pas savoir envoyer ou recevoir un mail, rechercher des informations sur un service administratif ou sur un site marchand, se connecter à des services essentiels comme l’accès à ses droits. Cela comprend aussi le fait de savoir sécuriser ses interactions en ligne pour ne pas être victime d’arnaques ou de « fake news ».

L’illectronisme concerne 20 % de la population française. Comment se fait-il qu’autant de personnes soient concernées ?

C’est lié à la vitesse de diffusion du numérique dans notre société. C’est du jamais vu dans l’histoire de l’homme. Donc forcément, cela crée des formes d’iniquité et même d’injustices entre les citoyens. Ensuite, l’illectronisme peut être lié à notre éducation, au fait de faire confiance aux outils, au fait de ne pas y être confronté – comme c’est souvent le cas des seniors, des personnes en situation de handicap ou des publics défavorisés. Et il n’est pas complètement sûr que ces « oubliés du numérique » aient la capacité un jour de les utiliser. Il faut donc que les pouvoirs publics aient en tête ce besoin d’assistance durable.

Qui sont les « oubliés du numérique » ?

Commençons par le public senior : 62 % des plus de 75 ans n’ont pas d’usage numérique. Cette population, qui a traversé sa vie professionnelle sans le numérique, est aujourd’hui livrée à elle-même. Cela ne veut pas dire que certains n’en font pas usage et n’y prennent pas de plaisir. Mais globalement, un pan très important de cette population est en difficulté et a besoin d’être accompagné. Il y a ensuite les publics fragiles socialement, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas de diplôme, les personnes en situation de handicap, les femmes seules, les publics précaires. Et puis il y a aussi des contre-exemples, à l’image des « digital natives ». Ces jeunes nés avec un téléphone dans la main ont des usages ludiques du numérique mais ont parfois beaucoup de mal dans d’autres contextes, comme celui de l’emploi.

Quelles problématiques rencontre-t-on quand on ne maîtrise pas correctement les outils numériques ?

Ne pas savoir écrire un mail à valeur professionnelle peut représenter une barrière dans l’accès à l’emploi. Ne pas savoir acheter un billet de train ou d’avion en ligne peut nuire à la mobilité. Ne pas savoir rechercher des informations fiables peut laisser libre cours aux « fake news » ou aux informations tronquées. Aujourd’hui, la relation entre l’entreprise et le salarié est aussi très dématérialisée. Recevoir son bulletin de paye, déposer ses congés, avoir accès à des informations sur ses droits… tout se fait en ligne. Et puis, en matière de sécurité se posent les problématiques de cyberharcèlement, d’arnaques…

Que ressentent les personnes exclues du numérique ?

Il y a déjà un fort sentiment d’isolement. Quand on ne maîtrise pas les outils numériques, notamment de communication, on n’est plus en capacité de dialoguer. On n’est plus dans le même rythme, on ne vit plus la même vie que tout un chacun. Il y a aussi une forme de déconsidération, celle de ne pas savoir faire quelque chose que tout le monde maîtrise. Et puis, il y a l’oubli. Quand des enquêtes sont réalisées en ligne, ces personnes ne sont plus interrogées, ne sont plus écoutées. Enfin, il y a la peur de ne pas y arriver, la peur de rater.

En 2017, l’Etat français s’est fixé pour objectif de dématérialiser 250 services publics-clés avec le Plan Action public 2022. Cette numérisation est parfois critiquée. Quel est votre sentiment ?

Il y a eu deux rêves. Celui que tout le monde était prêt. Les pouvoirs publics le pensaient, compte tenu du taux d’équipement des foyers, dépassant 100 %. Le deuxième rêve était d’imaginer que cette transformation se ferait sans effort. Sauf que tout nouveau service mérite un plan de déploiement pour s’assurer que les usages sont compris. Il y a un temps d’information, d’évaluation nécessaire. Il faut prendre le temps de cerner les publics fragiles, de voir comment les accompagner, qui mobiliser dans les territoires pour les assister… Il y a eu une forme d’illusion que tout ça allait se faire sans accompagnement.

Comment former les personnes qui ne maîtrisent pas les outils numériques ?

La proximité est une des clés. Il faut organiser des formations proches de chez eux. La flexibilité est aussi importante. Les gens ont des occupations, des contraintes. Il faut s’adapter à leur emploi du temps et pouvoir les suivre dans le temps. Ensuite, il y a les coûts. Les formations doivent être gratuites. Enfin, la bienveillance est primordiale. Il faut s’appuyer sur la motivation des stagiaires en prenant le temps de les comprendre, de savoir pourquoi ils viennent et s’adapter à leur niveau.

Quels conseils donner aux personnes concernées par cette précarité numérique ?

Je conseille d’identifier des lieux pour trouver de l’aide. Il est possible d’aller dans sa mairie. La CAF ou Pôle emploi organisent aussi des ateliers ou proposent gratuitement des cours, des formations. Même si ce n’est pas agréable, il ne faut pas hésiter à en parler.

« Rebond, vivre avec le handicap » est un podcast écrit et animé par Joséfa Lopez et Isabelle Hennebelle pour Le Monde. Mixage : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib. Reportage : Clément Baudet. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine. Partenaire : Agefiph.

Lire un livre quand on est malvoyant, regarder un film quand on est malentendant, écrire un courriel quand on est paralysé… En situation de handicap, réaliser certaines activités de tous les jours relève parfois du défi. Car rien n’est vraiment adapté. Mais depuis quelques années les outils numériques permettent d’accompagner ceux qui en ont besoin. Des applications sur smartphone, des logiciels sur tablette ou ordinateur, l’émergence de l’intelligence artificielle permettent aujourd’hui de compenser le handicap et facilite la vie quotidienne et professionnelle.

Comment les personnes en situation de handicap s’emparent-elles du numérique ? Qui est concerné ? Est-ce facilement accessible ? C’est le sujet de ce deuxième épisode de la troisième saison de dans « Rebond, vivre avec le handicap » (saison 3), un podcast du Monde réalisé en partenariat avec l’Agefiph, à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes en situation de handicap (SEEPH).

Le Monde a interrogé Estelle Peyrard, responsable de l’association APF France handicap, chercheuse associée au Centre de recherche en gestion, qui fait partie de l’Institut interdisciplinaire de l’innovation associé à l’École polytechnique, et coanimatrice du réseau H2i (Handicap et innovation inclusive)

Avec l’arrivée du numérique, y a-t-il eu un avant et un après dans la vie des personnes en situation de handicap ?

L’arrivée du numérique a offert de nombreuses possibilités aux personnes en situation de handicap. Pour se figurer la chose, on peut penser à Stephen Hawking, célèbre physicien atteint de la maladie de Charcot, réussissant à s’exprimer devant un public grâce à sa synthèse vocale permise par le numérique. Mais il y a aussi toutes les aides qui permettent concrètement d’accéder au numérique, à un ordinateur, à une tablette, à un smartphone. Dans le domaine du handicap moteur, on peut penser à des choses très low tech comme « la licorne », une sorte de bâton qu’on accroche autour de la tête pour sélectionner des choses sur un écran tactile. Mais il y a aussi des outils beaucoup plus high tech, comme des commandes oculaires qui permettent à des personnes entièrement paralysées d’interagir avec un outil numérique grâce au mouvement des yeux.

L’arrivée de l’intelligence artificielle est-elle une révolution pour les personnes en situation de handicap ?

L’intelligence artificielle ouvre des perspectives énormes, même si nous sommes encore au stade du frémissement. Elle peut par exemple être utilisée avec des outils qui traduisent en langue des signes ou qui décomposent une macro-tâche en sous-tâches. Elle permet également la synthèse vocale en produisant des voix très proches de celle de l’humain. Mais la difficulté est le manque de données. Pour fonctionner, l’intelligence artificielle a besoin d’intégrer énormément de données. Or, dans le domaine du handicap, on est souvent dans le domaine de la spécificité, avec un petit nombre de cas. Il faudra donc qu’elle s’adapte.

Avez-vous le sentiment que les personnes en situation de handicap ont assez accès aux outils numériques aujourd’hui ?

En 2022, la Fédération des aveugles de France a montré que, sur 1 400 sites Web testés, seulement 15 % avaient fait une déclaration d’accessibilité et 7,5 % indiquaient leur niveau de conformité. C’est très peu, sachant qu’avoir fait une déclaration d’accessibilité ne veut pas dire que votre site est vraiment accessible. Il y a donc encore beaucoup à faire pour que le numérique soit accessible, malgré une loi qui est censée faire bouger les choses. Mais cela passe aussi par la formation des développeurs, des ingénieurs, des designers.

Quelles sont les limites des outils numériques pour les personnes en situation de handicap ?

Le temps d’apprentissage peut être un frein. Certaines personnes peuvent se demander si cela en vaut vraiment la peine, car il va falloir répéter, répéter, répéter encore la tâche, ce qui est laborieux. Ces temps d’entraînement peuvent générer de la frustration chez les personnes qui n’y arrivent pas. Le numérique peut aussi être anxiogène, notamment face à la dépendance qu’il crée. Cette dépendance peut avoir des conséquences : si une nouvelle version n’est plus compatible avec les aides techniques, si les fournisseurs ne font plus tel ou tel produit ou, pire, s’ils mettent la clé sous la porte, laissant les utilisateurs dépourvus. Enfin, comme ils sont produits en petites séries, les outils numériques coûtent souvent assez cher, beaucoup plus cher que des produits numériques lambda. Certaines aides existent, comme la prestation de compensation du handicap, mais elles sont souvent insuffisantes.

Pour proposer des outils numériques adaptés aux personnes en situation de handicap, il faut les imaginer. Vous pilotez le TechLab de l’APF France handicap, appelé « le hub de l’innovation technologique ». Comment travaillez-vous ?

Nos ateliers d’innovation font participer les personnes en situation de handicap à la conception de produits ou services innovants. Elles sont en lien avec les entreprises et testent le produit ou réfléchissent à de nouvelles solutions. Nous travaillons avec tous types d’entreprises : des start-up dans le domaine du handicap, comme les concepteurs d’exosquelette tels que My 3D ou Wandercraft, des créateurs d’applications numériques consacrées à la mobilité des personnes en situation de handicap, mais aussi de grandes entreprises qui ont compris la nécessité d’adapter leurs produits aux personnes en situation de handicap. Il y a quelques années, nous avons par exemple travaillé avec le groupe SEB qui avait conçu une gamme de petit électroménager avec un groupe de personnes en situation de handicap. C’était une gamme grand public facile à utiliser, avec des poignées plus larges, qui ne glissent pas, des boutons contrastés. Sans que cela fasse « handicapé » pour autant. Car les personnes en situation de handicap ne veulent pas forcément qu’on leur rappelle leur handicap.

La télécommande, les sous-titres, la synthèse vocale… beaucoup d’outils ont à la base été imaginés pour les personnes en situation de handicap et servent aujourd’hui à tous. Ces produits ont été extrêmement bien pensés, car un simple défaut de conception mettra en difficulté une personne porteuse de handicap, qui révélera donc immédiatement ce défaut. Mais il faut adapter les méthodes de travail. Collaborer avec une personne malentendante ou aveugle s’anticipe. Beaucoup de paramètres sont donc à prendre en considération, mais cela en vaut la peine.

« Rebond, vivre avec le handicap » est un podcast écrit et animé par Isabelle Hennebelle et Joséfa Lopez pour Le Monde. Mixage : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib. Reportage : Marjolaine Koch. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine. Partenaire : Agefiph.

Prévoir des postes adaptés, organiser le temps de travail, former les collaborateurs… autant de mesures que les entreprises peuvent mettre en place pour accueillir des salariés en situation de handicap. Mais aujourd’hui, avec le développement et la généralisation des outils numériques, il est possible d’aller plus loin pour permettre plus d’inclusion.

En France, une personne sur six est en situation de handicap. Il y a le handicap de naissance, mais aussi celui qui survient au cours de la vie après un accident, une maladie ou le temps qui passe. Cela représente 85 % des cas de handicaps. Pour une entreprise, adapter ses outils permet donc de toucher à la fois des salariés dans l’emploi et de futurs salariés.

Mais comment adapter son entreprise ? Quels outils numériques mettre concrètement en place ? Comment infuser une véritable culture d’un numérique inclusif ? Et comment toutes ces démarches peuvent devenir une opportunité pour les entreprises ? C’est le sujet de ce troisième épisode de « Rebond, vivre avec le handicap » (saison 3), un podcast du Monde réalisé en partenariat avec l’Agefiph, à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes en situation de handicap (SEEPH).

Pour répondre à ces questions, Le Monde a interrogé Luce Carevic, directrice de production et experte en accessibilité numérique chez Access42.

Access42 est un cabinet de conseil qui accompagne depuis 2014 les entreprises et les administrations publiques dans la mise en place et le suivi de leur politique d’accessibilité numérique. Lors de vos audits, quels constats faites-vous ?

En règle générale, les sites, les applications, les logiciels en entreprise (mais pas qu’en entreprise d’ailleurs) ont un niveau d’accessibilité déplorable. Il n’y a pas de données très fiables sur le sujet mais certaines enquêtes montrent qu’il y a moins de 10 % d’outils accessibles aux personnes en situation de handicap. Certains observatoires évoquent même 1 % ! Les entreprises s’intéressent au sujet lorsque certains de leurs salariés ne peuvent plus utiliser leurs outils, après une maladie par exemple. C’est le cas avec la déficience visuelle. Elles veulent donc voir comment les améliorer.

Quels principaux points de blocage constatez-vous ?

Ils sont de différents types. D’abord, les outils numériques ne sont pas pensés et codés pour être compatibles avec les aides techniques qu’utilisent les personnes handicapées, comme les lecteurs d’écran pour les personnes déficientes visuelles ou aveugles. Sauf que si l’outil de l’entreprise n’est pas codé correctement, l’outil numérique de la personne handicapée ne va pas du tout pouvoir fonctionner. Pour des actions basiques – comme commander quelque chose sur Internet ou poser des congés – ce sera complètement impossible. Sur de nombreux sites, il faut aussi interagir avec la souris, ou éventuellement avec un trackpad. Si vous utilisez d’autres outils qui simulent une navigation au clavier, cela ne fonctionnera pas du tout. Normalement, les équipes techniques, les développeurs et les développeuses sont censés connaître ces paramètres. Mais comme ce n’est pas toujours le cas, la plupart des outils numériques ne sont pas codés correctement. Pourtant, on ne parle pas de technologies très avancées ou d’un savoir-faire hors de portée.

Pourquoi est-on autant en retard ?

Il y a un manque de volonté, mais aussi de connaissances. Notamment car l’obligation légale n’a longtemps concerné que le secteur public. Finalement, la plupart des gens sont de bonne foi, font confiance aux équipes techniques ou aux prestataires. Ils se font livrer des sites web ou des applicatifs sans se poser la question de l’accessibilité et personne en interne n’est capable de le vérifier, ou n’ose le faire. En effet, les personnes en situation de handicap ne veulent pas forcément signaler qu’il y a des problèmes pour ne pas être stigmatisées ou perdre leur emploi.

Depuis 2019, les entreprises privées ayant plus de 250 millions de chiffre d’affaires et les entreprises publiques doivent garantir l’accès à l’information et aux services numériques pour les personnes présentant un handicap auditif, cognitif, visuel et physique. Ce n’est pas suffisant ?

Ces obligations sont pour le moment assez restreintes. A partir de 2025, elles vont être élargies à certains secteurs, notamment à la téléphonie, au livre numérique, au secteur bancaire, aux transports. J’en oublie certainement mais ça reste encore assez limité. Sauf que comment peut-on obliger d’un côté les entreprises à employer des personnes handicapées et de l’autre ne pas rendre obligatoire l’accessibilité numérique ? Si les outils ne sont pas accessibles, une grande partie des personnes en situation de handicap ne peuvent pas travailler. Il y a d’ailleurs eu une prise de conscience lors du confinement, quand tout le monde était en télétravail forcé. La plupart des outils de visio n’étaient pas accessibles et il était donc difficile de communiquer avec des collègues en situation de handicap.

Pourtant, sans adaptation, sans inclusion par le numérique, il peut y avoir des conséquences importantes pour les salariés…

On constate déjà une baisse de la productivité. Pour la même action, sans outil adapté, elle sera faite beaucoup plus lentement. A terme, cela peut entraîner une perte d’emploi ou l’impossibilité d’évoluer. Il nous est arrivé d’intervenir dans des entreprises où des salariés avaient les compétences pour changer de poste mais ne pouvaient pas parce que l’outil numérique qu’ils devaient utiliser n’était pas du tout accessible.

Comment les entreprises peuvent-elles s’adapter ?

Lorsqu’elles ont la main sur leurs outils, nous leur faisons des recommandations techniques pour les faire évoluer, les redévelopper ou en changer. Mais, un peu comme dans le bâti, lorsque quelque chose n’est pas conçu comme étant accessible dès le départ, il est compliqué de rajouter de l’accessibilité a posteriori. Aussi, lorsqu’un outil pourrait être accessible, il contrevient parfois à d’autres paramètres de l’entreprise comme ceux liés à la sécurité, aux règles RGPD, à la violation des données… Il est donc très compliqué de trouver l’outil qui répondra à toutes les réglementations et qui sera en plus accessible.

 

Au-delà des outils numériques, il est déjà possible de mettre en place des bonnes pratiques au sein de l’entreprise. Avez-vous des exemples ?

Il y a des exemples assez basiques. Commençons par l’e-mail. Si vous envoyez une image à une personne aveugle, son outil de lecture ne sera pas capable de voir ce qu’il y a dans l’image. De même pour les e-mails qui contiennent de la couleur et qu’une personne daltonienne ne verra pas. Lorsqu’une personne déficiente visuelle ou aveugle reçoit un document peu structuré, elle ne va pas pouvoir naviguer correctement dedans ou aller un peu plus vite. Pourtant, sur Word ou Excel, il est possible de prévoir des options d’accessibilité. Cela permet ensuite à une personne handicapée d’utiliser le fichier correctement. Ces exemples ne sont donc pas forcément liés aux outils numériques, ce sont seulement des bonnes pratiques à acquérir.

Comment intégrer l’accessibilité numérique dans la vision globale de l’entreprise ? C’est-à-dire former les départements RH, mobiliser les équipes techniques qui gèrent le parc informatique, aller jusqu’aux départements de communication et de marketing ?

La loi impose normalement aux entreprises publiques et aux entreprises privées, dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros, d’établir publiquement un schéma directeur d’accessibilité numérique en détaillant ce qu’elles vont mettre en place au sein de leur structure. Mais il faut que les entreprises comprennent que cette obligation légale n’est pas juste déclarative. Elles doivent s’en saisir pour réfléchir concrètement à cette problématique.

Les années passant, avez-vous vu les entreprises évoluer ?

Oui, il y a quand même une réelle évolution, même si certaines entreprises sont dépassées. On entend de plus en plus parler d’accessibilité numérique. Il y a sept ans, lorsque j’ai commencé dans ce métier, ce n’était pas le cas. Nous avions d’ailleurs très peu de clients privés, seulement ceux du secteur public qui avaient une obligation légale. Désormais, ce n’est plus vraiment le cas et nous avons de plus en plus d’entreprises privées. Certaines d’entre elles s’y intéressent par obligation légale mais d’autres veulent allier politique RSE et accessibilité numérique. Aujourd’hui, on parle aussi beaucoup d’inclusion. Sauf que parler d’inclusion sans penser au volet accessibilité et handicap, ce n’est pas très logique.

Intégrer l’accessibilité numérique est aussi bon pour l’image d’une entreprise…

Alors oui, il y a aussi cet aspect-là. Aujourd’hui, pas mal de profils cherchent à travailler dans des entreprises qui ont un minimum de valeurs. Ils s’interrogent sur le sens de leur travail. Cela peut donc attirer de futurs candidats de se dire « je travaillerai pour une société qui se soucie d’inclure des salariés différents, de ne pas exclure quelqu’un qui rencontrerait un problème au cours de sa vie ». Mais, a contrario, peu d’entreprises privées communiquent sur le travail qu’elles font sur l’accessibilité numérique. Peut-être à tort, mais aussi parce qu’elles considèrent qu’elles sont encore très loin d’avoir des résultats tangibles.

Quels conseils aimeriez-vous transmettre en matière d’accessibilité numérique aux entreprises qui nous écoutent ?

Je leur conseillerai de commencer petit à petit. D’abord en se posant la question des outils utilisés en interne, en faisant un état des lieux puis en se renseignant sur le sujet. Il y a beaucoup de contenus gratuits disponibles sur le Web sur ce sujet. Je les inviterai aussi à se rapprocher des missions handicap.

« Rebond, vivre avec le handicap » est un podcast écrit et animé par Joséfa Lopez et Isabelle Hennebelle pour Le Monde. Mixage : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib. Reportage : Clément Baudet. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine. Partenaire : Agefiph.

La télécommande, le téléphone, le sous-titrage… Ces innovations font partie de notre quotidien. Et pourtant, à l’origine, elles ont été imaginées et conçues pour compenser des handicaps. Aujourd’hui, avec le développement du numérique, de nombreuses applications sont imaginées pour être utilisées par tous les publics, qu’ils soient valides ou en situation de handicap. On appelle cela « l’accessibilité universelle ». Cela passe par exemple par la reconnaissance vocale, qui permet d’allumer les lumières sans avoir à se lever. Pratique quand on est assis sur son canapé ou dans un fauteuil roulant. Dicter un message vocal plutôt que de l’écrire est utile quand on a les mains prises ou si on est paralysé.

Intégrer l’accessibilité universelle dès la conception d’un produit relève désormais de l’évidence pour des géants du numérique (les Gafam : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Mais comment sont imaginés les logiciels, les applications, les sites Web pour qu’ils soient utilisés par tous ? Est-ce si simple ? Quelles sont les méthodes et les profils des équipes ? Comment s’assurer que cette accessibilité numérique est bien réelle ? C’est le sujet de ce quatrième épisode de « Rebond, vivre avec le handicap » (saison 3), un podcast du Monde réalisé en partenariat avec l’Agefiph, à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes en situation de handicap (SEEPH).

Pour répondre à ces questions, Le Monde a interrogé Philippe Trotin, le directeur de la mission handicap et accessibilité numérique de Microsoft France.

Bonjour je suis Isabelle Hennebelle, journaliste au Monde.

Pour commencer, Philippe Trotin, quelle est votre définition de l'accessibilité numérique?

C'est le développement de solutions digitales avec les personnes en situation de handicap - elles connaissent les problématiques qu'elles rencontrent lorsqu'elles utilisent un ordinateur ou un téléphone - pour répondre à leurs besoins. Mais ces solutions vont bénéficier à tout le monde.

Philippe Trotin, vous êtes dysorthographique, c’est-à-dire que vous avez des difficultés à transcrire des mots qui se prononcent pareil mais qui s’écrivent différemment. Votre mère est non voyante. Le handicap fait donc partie de votre vie. Dans quelle mesure l’accessibilité numérique peut-elle aider ?

A l’époque, ma mère utilisait le braille et un dictaphone. Aujourd’hui, que ce soit pour les personnes malvoyantes comme celles avec des problématiques de dys, il est possible d’utiliser des solutions numériques adaptées, par exemple des assistants vocaux. On peut faire des recherches à la voix, ce qui était inimaginable il y a quelques années. Et puis la qualité des voix s’est considérablement améliorée. Au départ, elles étaient très robotisées, très mécanisées et difficiles à comprendre. Aujourd’hui, c’est agréable.

Comment se situe la France en matière d’accessibilité numérique ?

Je dirais que nous sommes un élève moyen et que nous avons un peu de retard. L’accessibilité numérique a commencé à prendre son essor aux Etats-Unis il y a une quinzaine d’années, notamment grâce au système judiciaire américain. En effet, le fait que des avocats puissent attaquer les entreprises qui ne s’adaptent pas a accéléré les choses. Dès lors, elles ont fait l’effort de travailler sur cette notion d’accessibilité, au risque de payer des amendes. En France, j’ai commencé à en parler aux entreprises il y a huit ans environ. Mais depuis trois ou quatre ans, on assiste à une forte accélération, une prise en compte du sujet. C’est notamment lié au fait que la législation s’est renforcée et oblige au moins les grandes entreprises à rendre accessibles leurs services. Les sites de l’Etat s’y sont aussi mis.

Même s’il y a encore du chemin à parcourir…

C’est vrai, le chemin est long. Les associations, comme l’association Valentin Haüy ou la Fédération des aveugles de France pour la partie vision, militent évidemment pour la mise en accessibilité des principaux sites. Il devrait être plus simple pour une personne malvoyante de faire ses démarches en ligne que de se déplacer à un guichet.

A travers le parcours de ses dirigeants, l’histoire de Microsoft est liée au handicap. Est-ce que cela a pu influer sur la politique de l’entreprise ?

Alors oui, nécessairement. Il y a eu trois périodes. La première est l’ère « Bill Gates ». Il était lui-même concerné par des troubles autistiques. Au début, il avait de très grosses difficultés à communiquer. Je me souviens de le voir assis face à 10 000 personnes et de ne pas oser bouger. Il a donc dû apprendre à rendre sa communication plus agréable, plus confortable. Et bien entendu, au tout début de Windows, il y avait déjà un certain nombre d’outils pour permettre aux utilisateurs en situation de handicap d’utiliser les solutions, comme les raccourcis clavier. Ensuite, il y a eu l’ère « Steve Ballmer ». C’est le moment où Google a été créé dans les années 2000. Les smartphones sont apparus et cela a vraiment changé la façon de travailler. Puis, Satya Nadella a changé la culture de l’entreprise, notamment car il avait un enfant en situation de handicap. Chaque employé de l’entreprise avait un objectif autour des sujets de diversité, d’inclusion. L’accessibilité a donc fait partie de la culture de l’entreprise.

En mai 2021, Microsoft a annoncé un plan sur cinq ans pour améliorer l’accessibilité numérique et permettre l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail. Où en êtes-vous aujourd’hui et quelles sont les prochaines étapes ?

Il y a eu une première étape, qui était la mise en accessibilité de l’ensemble de nos outils, de nos sites Internet. Quand on est présent dans plus de 110 pays et qu’il faut rendre accessible l’ensemble des outils et des solutions, cela représente beaucoup d’efforts. Puis, nous avons commencé à réfléchir sur les progrès de l’intelligence artificielle, sur l’utilisation des outils simples comme Word ou Excel. A mi-parcours, je pense pouvoir dire qu’on ne s’arrêtera pas là. Il y a un double challenge dans l’entreprise : à la fois se transformer nous-mêmes, mais aussi accompagner les clients et les partenaires sur leur transformation. Pour vous donner une idée de l’appétence des clients sur les sujets d’accessibilité, il y a encore trois ans, je faisais une cinquantaine de présentations par an aux entreprises. L’année dernière, c’était plus de 160 ! On constate une très forte demande des entreprises qui souhaitent mieux connaître les outils qui sont utilisés par des personnes en situation de handicap.

Comment vous situez-vous par rapport aux autres Gafam ?

Apple a bien travaillé sur l’accessibilité de ses téléphones, par rapport à Android. De notre côté, nous avons l’avantage d’être déployé dans quasiment toutes les entreprises. Cela nous permet d’avoir beaucoup plus de retours d’utilisateurs et, par conséquent, de pouvoir répondre à leurs besoins. A partir du moment où l’on réfléchit les solutions en étant centré sur les usages des utilisateurs, on réussit à développer des solutions très adaptées. Et donc, dans mon activité, je passe beaucoup de temps à collecter tous les retours de terrain des utilisateurs en situation de handicap pour informer les équipes qui développent nos produits et qui les font évoluer.

La conception universelle est aussi importante ...

L’accessibilité numérique répond aux normes qui vont permettre aux personnes en situation de handicap d’utiliser les solutions. La conception universelle est une approche centrée sur différents types d’utilisateurs. Par exemple, imaginons que l’on doive concevoir une poignée de porte. On pensera l’utilisation de cette poignée par une personne en fauteuil roulant, par un enfant, par une personne âgée et on essayera de se rendre compte des difficultés qu’ils rencontrent lorsqu’ils utilisent cet objet. Si la personne en fauteuil a du mal à appuyer sur la poignée ou à tirer la porte, il faudra trouver une solution, par exemple automatiser la porte pour qu’elle puisse s’ouvrir seule. Ensuite, on regardera si cette évolution peut servir aux autres publics. Appuyer sur un bouton pour ouvrir la porte évitera ainsi à un enfant de se coincer les doigts.

Pourquoi cette conception universelle n’est-elle pas automatique dans l’élaboration des produits ou des services ?

Cela commence à arriver mais c’est compliqué pour une entreprise de remettre en question les produits qu’elle fait et de se rendre compte que, dans le public qui utilise ces solutions, il y en a qui sont différents de ceux visés au départ. C’est la même chose dans le numérique. Quand on conçoit une solution, on a tendance à l’imaginer pour soi-même. En oubliant que certains utilisateurs peuvent avoir du mal à voir ou à entendre. Il faut donc intégrer davantage les personnes en situation de handicap dès la conception. Le téléphone n’aurait jamais été créé si la femme et la belle-mère de Graham Bell n’avaient pas été sourdes. Les SMS n’auraient pas été inventés si l’on n’avait pas eu ce besoin d’échanges de la part de personnes sourdes.

Quelles sont les nouvelles formes de compensation rendues possibles par le numérique ?

Il y en a beaucoup. Je pourrai par exemple citer Seeing AI sur iPhone. C’est une application pour les personnes non voyantes. Elle a d’ailleurs été développée par une personne pour ses propres besoins au départ. Elle permet de lire un texte. Par exemple, si elle reçoit une enveloppe par courrier, elle va pouvoir scanner le texte et vérifier que l’enveloppe lui est bien destinée avant de l’ouvrir. Ou lorsqu’elle va faire des courses, elle va pouvoir scanner une boîte de conserve pour savoir si c’est une boîte de carottes ou de petits pois. Cette application permet de réaliser des besoins très basiques mais essentiels grâce à l’intelligence artificielle et à la reconnaissance d’image.

L’univers des loisirs est aussi concerné par cette accessibilité numérique…

Fournir une activité ludique à des jeunes en situation de handicap, c’est leur permettre de sociabiliser, d’échanger avec leurs amis, de jouer aux mêmes jeux avec les mêmes relations au jeu. Nous avons mis au point une manette adaptative, nous travaillons sur l’affichage pour les personnes malvoyantes, le sous-titrage pour les personnes malentendantes mais aussi sur le métavers.

Microsoft est partenaire de l’association ALIS, association de sensibilisation au locked-in syndrome, ce syndrome d’enfermement à cause duquel une personne ne peut plus communiquer qu’avec des mouvements oculaires. Dans quelle mesure l’intelligence artificielle peut-elle se mettre au service de ce public ?

Pour communiquer, ces personnes utilisent des claviers visuels. Leurs yeux regardent les différentes lettres pour former des mots. Stephen Hawking a, par exemple, écrit des livres avec ce type de technologie. Mais il serait intéressant d’améliorer le mode conversation. L’intelligence artificielle pourrait ainsi être capable d’identifier ce qui a été dit par une personne extérieure et proposer à la personne « lis » des éléments de réponse pour lui permettre d’être beaucoup plus rapide que de taper lettre après lettre.

Est-on capable de mesurer les potentialités économiques de l’accessibilité numérique ?

S’adresser à des personnes en situation de handicap constitue de fait un marché économique. Il y a d’ailleurs un fort potentiel, puisqu’elles vont aussi bénéficier d’aides pour pouvoir acheter des solutions adaptées.

Quels conseils aimeriez-vous donner aux entreprises, hors secteur du numérique, pour que l’accessibilité numérique devienne une norme ?

Je pense qu’il faut que les entreprises se rendent compte qu’elles ont des employés en situation de handicap et que ces employés sont en souffrance par rapport à leur environnement de travail. Il y a donc une forte responsabilité, à la fois des missions handicap, des ressources humaines sur la création d’un environnement plus serein, plus confortable, accompagné par des équipes informatiques en mesure d’adapter les solutions numériques de l’entreprise. Il faut engager une vraie réflexion autour de ce sujet et mettre en place une gouvernance pour l’organiser.

« Rebond, vivre avec le handicap » est un podcast écrit et animé par Joséfa Lopez et Isabelle Hennebelle pour Le Monde. Mixage : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib. Reportage : Clément Baudet. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine. Partenaire : Agefiph.

 

Le secteur du numérique est en plein boom. Dans la cybersécurité, les data, l’intelligence artificielle, le service client… de nombreux secteurs sont concernés. La demande ne faiblit pas, les opportunités d’emploi sont nombreuses et, pourtant, les entreprises peinent parfois à recruter des candidats compétents et formés. En 2023, selon l’Institut Montaigne, 10 % des offres d’emploi étaient non pourvues.

Alors, est-ce une opportunité pour des publics parfois éloignés de l’emploi comme les personnes en situation de handicap ? Le numérique pourrait-il être un nouvel eldorado ? Est-ce un secteur adapté ? Comment se former ? C’est le sujet de ce cinquième épisode du podcast « Rebond, vivre avec le handicap » (saison 3), réalisé en partenariat avec l’Agefiph.

Le Monde a interrogé Anthony Babkine, cofondateur avec Mounira Hamdi de Diversidays, une association nationale d’égalité des chances dans le numérique, et du programme DéClics numériques. Ce podcast a été réalisé à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes en situation de handicap (SEEPH).

Pour vous, le secteur du numérique peut être considéré comme « l’ascenseur social du XXIᵉ siècle ». Pourquoi ?

Ce secteur souffre d’une pénurie de candidats alors que 945 000 jobs étaient à pourvoir en 2022 ! Pourtant, ces métiers recrutent, paient plus que la moyenne, ne requièrent pas d’avoir le bac et pour lesquels beaucoup de formations existent pour se reconvertir sans forcément avoir de prérequis. Mais, dans l’imaginaire collectif, il faut être bon en maths et avoir un bac +5 donc beaucoup de candidats s’autocensurent. Et notamment des personnes en situation de handicap.

C’est justement pour éviter cette autocensure qu’en 2020, vous avez imaginé « DéClics numériques ». Concrètement, en quoi consiste ce programme ?

En mars 2020, le confinement commence. La consigne tombe qu’il va falloir qu’on reste tous à distance et que nous allons devoir travailler, se former, faire plein de choses… à distance. A ce moment-là, avec l’équipe de Diversidays, nous nous sommes questionnés sur notre rôle, notre mission. Nous sommes un acteur au service de la reconversion, de l’insertion mais nous n’avions pas vraiment de programme qui facilite la reconversion professionnelle vers les métiers du numérique. Nous avons donc décidé de créer une formule très courte pour permettre aux gens qui ont envie de prétendre à ces métiers de savoir de quoi il s’agit. Le monde de la tech est une véritable jungle. Il suffit d’aller sur Google et sur un moteur de recherche pour voir le nombre de requêtes qui ressortent en tapant « formation numérique ». On peut très vite être perdu dans cet environnement. Sauf qu’avant la formation, il y a l’information. C’est à ce moment-là qu’on peut lever beaucoup de barrières ou de freins psychologiques.

Grâce à ce programme en ligne et gratuit, nous avons aussi doublé le nombre de personnes en situation de handicap qui ont osé prendre la voie de la reconversion professionnelle vers les métiers du numérique. Ils représentent aujourd’hui 15 % de nos candidats, ce qui correspond à leur représentation dans la société. Notre rôle est de leur montrer que le numérique est une opportunité et que les recruteurs se disent, « OK, on va aller regarder les pépites qui sont potentiellement dans ce programme ».

Quels emplois en lien avec le numérique peuvent être adaptés aux personnes en situation de handicap ?

Ce sont principalement des métiers du développement Web, comme le code. Mais il y a aussi des métiers en tension comme ceux de la cybersécurité, de la gestion de projet, ceux qui nécessitent des compétences commerciales. Il y a un gros levier sur tout ce qui est l’expérience utilisateur « B to B ».

Certains employeurs pourraient se dire que des outils numériques, comme la visioconférence, peuvent permettre d’employer une personne en fauteuil roulant par exemple. C’est « pratique », mais pour vous, ce n’est pas si simple…

C’est un peu un réflexe de personnes valides. En effet, la plupart des gens sont à la recherche de lien social, ont envie d’avoir un quotidien professionnel exaltant, d’avoir un rapport humain fort, des rencontres, des échanges. Il faut donc faire attention de ne pas réduire les personnes en fauteuil à leur situation. Mais il y a quand même quelques avantages : ces outils permettent de ne pas imposer à quelqu’un qui est contraint par sa situation de prendre les transports. Ils lui permettent de venir seulement 20 à 30 % du temps en présentiel.

Pour moi, l’entreprise du XXIᵉ siècle, si elle ne veut pas être en panne de croissance, doit aller chercher des candidats dans des viviers différents. C’est une opportunité pour tous les candidats qui ont pu connaître des discriminations ou qui se sentent moins représentés, mais ça suppose que les boîtes changent leur logiciel. On est encore dans des réflexes à l’ancienne. Les grilles de lecture des recruteurs sont quand même assez figées. Il y a donc un gros travail à faire avec les entreprises de manière générale pour qu’elles perçoivent le potentiel des gens de manière différente.

Que vous disent les personnes en situation de handicap qui participent à votre programme ?

Il y a deux typologies de personnes. Il y a d’un côté des personnes qui sont vraiment dans une logique de découverte. Elles s’interrogent sur leur parcours et comme elles sont attirées par l’informatique ou les jeux vidéo, elles se disent : « Tiens, je vais creuser cette piste » ou, à l’inverse, « finalement, ce n’est pas fait pour moi ». Et, de l’autre côté, nous rencontrons des personnes découragées, que le marché de l’emploi a abîmées, que les démarches infructueuses ont fait douter. Nous devons donc remettre en confiance des gens qui avaient fini par douter de leur projet ou d’eux-mêmes. Notre rôle est de leur dire que ce qu’ils font est bien et les remettre en connexion avec l’emploi.

Vingt-cinq pour cent de vos bénéficiaires ont suivi une formation dans les trois mois et 30 % se tournent ensuite vers les métiers du numérique. Mais comment travailler main dans la main avec les entreprises ?

Pour moi, c’est une obsession d’aller chercher les entreprises car une grande partie des gens que nous avons accompagnés revenaient toujours avec les mêmes commentaires. Ils ne trouvaient pas de première expérience, ils se retrouvaient seuls, sans réseau. Donc je crois que si on ne change pas massivement les pratiques en termes d’inclusion, nous allons droit dans le mur.

Pour moi, les entreprises doivent faire plusieurs paris. D’abord, recruter différemment et miser sur les compétences plutôt que sur le profil. Ensuite, considérer que le handicap peut être une force. Aujourd’hui, à peine 10 % des plates-formes du service public sont accessibles à tous les publics. Une personne dys ou malvoyante va galérer à l’utiliser. Je pense donc que le regard de personnes en situation de handicap est une très grande richesse. N’importe quel service informatique devrait accueillir en son sein des compétences et des talents divers. Souvent, on crée un site puis on réfléchit après à comment le rendre accessible ! Alors qu’il faudrait faire l’inverse et cela coûterait moins cher que de devoir le réadapter ensuite. D’autant qu’à partir de janvier 2024, la loi va imposer que les sites Internet soient accessibles. Plein de boîtes vont donc être obligées de réinvestir des millions dans leur site.

Mais comment sensibiliser les entreprises à tout cela ?

Vaste question. J’ai aujourd’hui tendance à classer les entreprises pour savoir comment agir. Il y a d’abord les boîtes engagées sur les questions d’inclusion, souvent parce que le ou la dirigeant.e est très sensible à ces sujets. Mais elles sont plutôt minoritaires. Il y a ensuite celles qui essayent d’être bonnes élèves. Elles répondent au cadre légal pour être le plus possible dans les clous. Et puis, il y a les retardataires. Malheureusement, aujourd’hui, dans les retardataires, il y a l’écosystème « start-up ». Chez elles, le travail a été fait sur les questions de genre mais sur tout le reste, on est encore très, très loin.

A mon niveau, j’essaye de leur faire découvrir des programmes comme DéClics numériques mais aussi de valoriser les entreprises bonnes élèves, leur donner la parole, montrer ce qu’elles ont fait, montrer en quoi cela a peut-être servi à la performance de leur boîte. Monter également que cela crée du bien-être en interne, de la cohésion, du sentiment d’appartenance, que ça apporte de la désirabilité sur leur marque, leurs produits, leurs services. En valorisant les bons exemples, on donne envie aux autres de le faire pour des raisons justes. C’est la stratégie des petits pas.

Si vous aviez une baguette magique, qu’aimeriez-vous mettre en place ? Comment faire en sorte que le trio « emploi, numérique, handicap » soit gagnant ?

C’est une question très difficile mais je crois que je formerais les enfants et les adultes, dès qu’ils mettent le pied à l’école ou en entreprise, aux biais discriminatoires. Nous avons énormément de progrès à faire. Parfois, il y a des maladresses, parfois il y a de l’homophobie ou du validisme… Donc je me dis que pour corriger cela, il faut accompagner les gens. Il y a une responsabilité nationale aujourd’hui, comme on l’a d’ailleurs vu sur les questions de harcèlement scolaire par exemple. Ces deux problématiques sont très proches : à chaque fois, on stigmatise quelqu’un de différent et on le fait sentir moins à sa place, moins à l’aise, voire on l’exclut.

« Rebond, vivre avec le handicap » est un podcast écrit et animé par Joséfa Lopez et Isabelle Hennebelle pour Le Monde. Mixage : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib. Reportage : Clément Baudet. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine. Partenaire : Agefiph.

 

Publié le 21 novembre 2023