Une PME de métallerie fait le pari de faire entrer le handicap mental dans ses ateliers.
L'expérience
Article rédigé le 29/05/08
Une philosophie d’entreprise bien ancrée
Ancien compagnon du devoir en métallerie, Didier Duchêne, 48 ans, a lancé la société Novalu CMD2 avec son frère en 1990 avec, en tête, une philosophie bien ancrée, inspirée du compagnonnage : créer une entreprise différente qui ne soit pas uniquement axée sur la rentabilité économique mais intègre dans ses objectifs et son fonctionnement les notions de diversité (d’origine, d’âge, de niveaux de qualification…), de transmission du savoir et d’ouverture aux personnes en difficulté. « Beaucoup de personnes sont exclues faute d’avoir pu accéder à la formation et de pouvoir présenter les qualifications requises à d’éventuels employeurs. Cela ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas apprendre et évoluer. Dès le départ, j’ai construit mon entreprise sur l’idée de développer la performance d’équipe et non la performance individuelle. C’est la raison pour laquelle je recrute des salariés très qualifiés et d’autres qui le sont beaucoup moins mais qui ont l’envie et la motivation. Ils travaillent ensemble et c’est cette cohésion qui garantit la réussite économique de l’entreprise. »
Trois ans d’accompagnement sur-mesure
Il y a une douzaine d’années, Didier Duchêne rencontre le responsable de IMPro L’Accueil, tout proche de son entreprise. L’établissement, géré par l’ Adapei de l’Aube, forme une soixantaine d’élèves présentant un handicap mental. « La plupart d’entre eux s’orientent vers le secteur protégé mais nous avons estimé que 10 % sont susceptibles d’évoluer en milieu ordinaire pour peu qu’on leur offre un véritable accompagnement », raconte le chef d’entreprise. Avec l’établissement, il entame alors un long travail de réflexion pour permettre à certains élèves de franchir le pas et d’intégrer l’entreprise au terme de périodes de stages progressives.
Une première expérience est tentée avec un premier candidat en 1999. « Il a fallu trois ans pour lui permettre de sortir du milieu protégé et de devenir un salarié à part entière quasiment autonome aussi bien dans son métier que dans la vie. Nous avons procédé par étape en construisant son parcours sur-mesure, petit à petit, avec un éducateur et la psychologue de l’établissement. » Le jeune homme effectue d’abord des périodes d’observation puis est peu à peu intégré dans l’équipe et se voit confier des tâches ponctuelles. Au bout d’un an, il est en mesure d’effectuer seul les trajets pour se rendre dans l’entreprise (« un pas de plus vers l’indépendance », précise Didier Duchêne). Puis vient la découverte des chantiers extérieurs. « Tout cela s’est fait pas à pas. La troisième année, il était pratiquement à plein temps dans l’entreprise et nous avons signé un CDI. »
Une démarche expérimentale au pas à pas
Le passage progressif du jeune homme de l’IMPro à l’entreprise a nécessité un suivi constant de la part des deux partenaires. À chaque étape, Didier Duchêne, l’éducateur et la psychologue ont fixé des objectifs formalisés par des conventions de stage. « C’était une démarche véritablement expérimentale. Nous ajustions les choses au coup par coup. »
Au sein de l’entreprise, les salariés ont appris petit à petit à travailler avec le jeune homme et ont adapté leur méthode de travail. « Un petit exemple : il ne sait pas lire et ne peut compter au-delà de 100. Pour le rendre autonome, nous avons utilisé des instructions illustrées et imaginé un système de comptage par tranches de 10 qu’il peut appréhender. »
Les deux partenaires ont également veillé à ce que le jeune homme gagne en autonomie dans sa vie quotidienne : achat d’une mobylette, placement dans un appartement appartenant à l’IMPro puis, après l’embauche, dans un logement privé avec caution de l’entreprise. « Pendant toute la période où il n’était pas encore salarié chez nous, nous ne pouvions pas le rémunérer directement, mais chaque année, l’entreprise a verse une dotation de 8 à 10 000 euros à l’IMPro pour le financement de projets culturels à l’intention des élèves, précise Didier Duchêne. Mais en réalité, le seul véritable investissement se mesure en termes de temps. Nous dépassons la logique d’entreprise, mais mon frère et moi-même sommes totalement engagés dans ce projet. C’est notre philosophie. »
De véritables professionnels
En poste depuis six ans, le premier bénéficiaire de ce dispositif d’intégration si peu ordinaire est aujourd’hui un salarié à part entière, quasiment autonome dans son travail et dans sa vie, possédant des compétences et un savoir-faire acquis au fil des années. Il travaille en production, notamment sur le montage de châssis aluminium. « Il ne peut pas passer de diplôme, mais il a acquis ses galons de professionnel. Pour moi, il a largement un niveau CAP», affirme son employeur.
Courant 2005, un deuxième élève de l’IMPro a suivi ses pas. Il est sur le point d’être embauché à son tour. Forte de ces deux expériences, l’entreprise commence une démarche similaire avec un troisième candidat.
« Tout cela n’est possible que parce que nous sommes une petite structure imprégnée depuis le départ d’une culture bien particulière à laquelle adhèrent tous les salariés. Nous portons cette démarche avec l’IMPro dans le cadre d’un partenariat éprouvé depuis des années. Nous revendiquons totalement cette dimension expérimentale. Notre ambition : faire sortir le handicap mental de son isolement et montrer que des choses sont possibles. »
Le témoignage
Duchêne Didier, co-gérant
« Tôt ou tard, les entreprises devront miser sur de nouveaux potentiels »
« Le handicap mental fait peur à la société et aux entreprises. Il est généralement confiné dans le secteur protégé. Pourtant, certaines personnes ont les capacités d’apprendre, de gagner leur indépendance, d’intégrer le milieu ordinaire et de travailler de façon tout à fait efficace et autonome. Elles ne guériront pas, auront toujours des limites. Mais prendre le temps de les accompagner, oser leur confier des responsabilités permet de les faire avancer de façon spectaculaire et de devenir de vrais professionnels. Toutes les entreprises ne peuvent pas forcément mener une démarche similaire à la nôtre. Mais elles doivent comprendre qu’avec les difficultés de recrutement qui se profilent, elle devront tôt ou tard miser sur de nouveaux potentiels et former leurs salariés elles-mêmes. »
La fiche d'identité de l'entreprise
- Entreprise : Novalu Concept Métal D2
- Activité : métallerie
- Région : Champagne-Ardenne
- Effectif entreprise : 22
- Effectif TH de l'entreprise : 3
- Unités valorisables au titre de la sous-traitance : 0
- Accord d’entreprise : NON
- Convention Agefiph : NON
- Contact : Duchêne Didier (co-gérant) :
concept.metald2@wanadoo.fr - Mise à jour : 11/07/2008
La fiche technique
- Durée de l'intégration : 3 ans
- Nombre de personnes concernées : 3
- Type de handicap : mental
- Aménagements :
- techniques : non
- organisationnels : oui
- formation : oui
- Financement : Novalu CMD2, Agefiph
- Partenaires : IMPro L'Accueil du Mesnil-Saint-Loup (Adapei de l'Aube)