Le restaurant Des signes et des Mains emploie trois alternants sourds et malentendants

Chargée de projets au sein de l’association APESE Haïti pour la promotion de l’éducation, de la santé et de l’environnement, implantée à Évry-Courcouronnes, Linda François découvre le monde des personnes sourdes et malentendantes lors d’une action de Solidarité Internationale en 2010, suite aux tremblements de terre en Haïti. « J’ai été très marquée par deux enfants, un frère et une sœur, sourds l’un et l’autre, qui étaient relégués au fond d’un classe et tentaient de recopier un cours faute de pouvoir entendre ce que disait leur enseignant ? Je me suis promise alors de travailler un jour avec des personnes sourdes », raconte-t-elle. Cette occasion se présente dix ans plus tard à la faveur de la crise du Covid-19. Alors que les périodes de confinement successives ont conduit le restaurant du théâtre de l’Agora, d’Evry à mettre la clé sous la porte, l’association est sollicitée pour reprendre l’activité. « Nous possédons un service traiteur dont la Scène nationale de l’Essonne est l’un des clients les plus importants, raconte Linda François. Après mûre réflexion, nous avons accepté la proposition mais à condition d’y apporter une valeur ajoutée supplémentaire en utilisant le lieu pour former et faire travailler des personnes sourdes ou malentendantes. » L’ambition de l’association n’est pas de leur offrir un emploi « protégé » mais bien de les accompagner dans une logique d’insertion professionnelle. Ainsi voit le jour le concept Des Signes & des Mains, restaurant bio d'insertion professionnelle.

Pour monter le projet, l’association se rapproche de la mission handicap de la Faculté des métiers d’Evry. Elle n’a pas d’expérience avec le public sourd mais accepte de construire un parcours de formation sur mesure pour la préparation d’un CAP d’agent polyvalent de restauration en alternance. La démarche reçoit le soutien du Conseil départemental, de la ville d’Evry et de l’association Essonne Active, membre du réseau France Active. « Au fur et à mesure que nous avons avancé, c’est tout un écosystème qui s’est engagé progressivement à nos côtés. » Une trentaine de producteurs locaux est ailleurs mobilisée pour alimenter les frigos et les réserves du restaurant en produits frais. L’Agefiph intervient pour sa part au titre de l’aide à l’apprentissage. Parallèlement, l’association identifie trois candidats. Originaire de Tours, Alexis, 22 ans, n’hésite pas à venir s’installer en Ile-de-France pour pouvoir se former à la restauration qu’il a découverte à l’occasion de différents stages. Ses deux collègues approchent la quarantaine : Véra a travaillé précédemment dans un abattoir ; quant à Dimitrios, il n’a jamais pu, jusqu’ici, accéder à une activité professionnelle. « Tous les trois ont rencontré des obstacles dans leur parcours du fait de leur handicap mais il y a aussi beaucoup de manque de confiance en soi et d’auto-censure », souligne Linda François. La petite équipe commence sa formation le 1er octobre 2021. Deux mois plus tard, le restaurant ouvre ses portes. Le hasard faisant bien les choses, Linda François croise la route de Maxime Nicolet, chef cuisinier expérimenté, lui-même malentendant et pratiquant la langue des signes. Il accepte d’encadrer les trois apprentis.

Porté par l’association Apese, le restaurant, qui compte 80 couverts, est ouvert trois jours par semaine, du mercredi au vendredi midi et les soirs de spectacles. Les deux autres jours sont consacrés à la formation théorique et pratique à la Faculté des métiers, où deux interprètes en langue des signes française (LSF) interviennent en appui le matin. Alexis, Véra et Dimitrios travaillent aussi bien en cuisine qu’en salle, en contact direct avec les clients. Pour faciliter les échanges, ils utilisent une carte en images sur laquelle figure un lexique en LSF. Avec le temps, les habitués finissent par intégrer quelques signes. « Nous nous inscrivons dans une démarche de sensibilisation du public », précise Linda François, qui s’est elle-même formée à la langue de signes. Le mercredi après-midi, les trois apprentis se muent d’ailleurs en enseignants puisque le restaurant accueille deux ateliers d’apprentissage de la LSF. L’un est fréquenté en majorité par le personnel de la Scène nationale d’Evry qui a commencé à intégrer des spectacles signés dans sa programmation, l’autre est ouvert au public désireux de s’ouvrir à la culture sourde. Véra, Dimitrios et Alexis passeront leur CAP en octobre 2022. Les deux premiers envisagent d’ores et déjà d’enchaîner sur un CAP cuisine. S’il y est prêt le moment venu, Alexis souhaiterait quant à lui s’orienter vers la restauration collective. « Dans tous les cas, nous allons les accompagner pour que d’autres restaurateurs les intègrent dans leur équipe. C’est toute la finalité du projet », insiste Linda François. Une liste d’attente est d’ores et déjà ouverte pour le jour où le restaurant réunira une deuxième promotion.

Linda François, responsable du restaurant « Le concept du restaurant Des Signes & des Mains est tout à fait reproductible »