Chez Sanofi, des collaborateurs se réunissent en réseaux pour faire connaître la neurodiversité

Invisibilité, isolement et mal-être
Bien que tous les deux salariés chez Sanofi, Marie-Gwénaëlle Chuit et Stéphane Perrin-Fayolle ne se connaissaient pas. L’un travaille à Paris, l’autre à Lyon. Ils ont pour point commun de s’être tardivement découverts « neuro-atypiques » autour de la quarantaine.
Marie-Gwénaëlle présente un « déficit d’inhibition latente », un phénomène cognitif qui rend les individus hypersensibles aux stimuli sensoriels tels que les bruits, les lumières vives ou les sensations. « Le système nerveux n’arrive pas à hiérarchiser. Cela est lié au TDA (trouble déficitaire de l’attention), détaille-t-elle. C’est très fatigant au quotidien mais il est reconnu que cela contribue à libérer la créativité des personnes. » Le phénomène peut par ailleurs être associé à un haut potentiel intellectuel.
Tout comme sa collègue, Stéphane n’a jamais été diagnostiqué mais il se sent constamment « en décalage » avec son environnement et s’est souvent entendu dire par des personnes neuro-atypiques qu’il appartient « au même monde qu’eux ».
« Ces spécificités cognitives génèrent de vraies situations de handicap, en particulier dans la vie professionnelle, explique Marie-Gwénaëlle, mais elles ne sont pas reconnues comme telles et ne sont d’ailleurs pas toujours diagnostiquées car peu de praticiens y sont formés. » Conséquences pour les personnes concernées : un fort isolement et des situations de mal être, pas de reconnaissance d’administrative et pas de perspectives de prise en compte par l’employeur.
Un groupe ressources pour se soutenir mutuellement
Quelles que soient ses formes (autisme, haut potentiel intellectuel, trouble de l’attention, troubles dys…), la neurodiversité est pourtant beaucoup plus répandue qu’on ne l’imagine dans le monde du travail. Au sein de plusieurs grandes entreprises (Airbus, SNCF, Orange, Thalès…), des collaborateurs concernés se sont réunis en groupe de ressources (employee ressources group) pour se soutenir mutuellement et gagner en visibilité. C’est le fondateur d’un de ces réseaux qui a mis Marie-Gwénaëlle et Stéphane en relation.
En 2020, les deux collègues créent leur propre réseau interne, baptisé Aware. L’enjeu est d’amener les personnes concernées à comprendre et faire connaître leur situation, de les faire sortir de l’isolement et de proposer des solutions pour leur permettre de travailler dans les meilleures conditions. « Il y a là un enjeu d’inclusion pas si contraignant que cela pour l’entreprise, souligne Marie-Gwénaëlle. « Concevoir des environnements de travail adaptés, s’attacher à donner des consignes claires par écrit, introduire des pauses dans les réunions, tout cela peut contribuer à améliorer le quotidien de tous », plaide-t-elle.
Des outils pour comprendre et agir
Près de cinq ans après sa création, le groupe Aware, animé par cinq membres bénévoles très engagés, soutenus par la mission handicap, réunit plus de 645 « Sanofiens », en France et dans le monde, issus d’une quarantaine de nationalités. Ils peuvent accéder à une bibliothèque de ressources en français et en anglais, mise à jour chaque semaine et sont conviés chaque mois à des Cafés Aware, consacrés à des thématiques en lien avec la neurodiversité (exemple : « Haut potentiel intellectuel : un effet de mode ? »). Un module e-learning est par ailleurs à disposition des collaborateurs pour répondre notamment aux nombreuses interrogations sur le sujet.
En charge de la stratégie Diversité, Equité et Inclusion France depuis 2022, Marie-Gwénaëlle Chuit chapeaute aujourd’hui la Mission Handicap. L’une de ses préoccupations est de faire sortir les personnes concernées de la zone grise dans laquelle elles sont enfermées et de leur permettre de faire reconnaître, lorsque c’est nécessaire et approprié, leur spécificité comme un handicap pour faciliter les aménagements. Un collaborateur autiste a ainsi pu être accompagné dans son reclassement, et bénéficier de quelques adaptations (télétravail élargi, environnement calme…) mais dans bien des cas, les situations passent inaperçues ou sont mal comprises, notamment lorsque la sévérité des troubles ou de la particularité cognitive n’est pas reconnue comme un handicap : c’est là que le réseau Aware permet, par ses actions de sensibilisation et sa mise à disposition de ressources, de favoriser l’inclusion et la collaboration entre neurotypiques et neuroatypiques.
« Aujourd’hui, Aware suscite de l’intérêt à l’international au sein du groupe et poursuit son essaimage. C’est encourageant. Cela signifie que l’entreprise s’approprie progressivement le sujet », conclut la co-fondatrice du réseau.
TÉMOIGNAGE
Marie-Gwénaëlle Chuit, responsable Diversité, Egalité et Inclusion
« Libérer le potentiel des personnes neuroatypiques contribue à la performance de l’entreprise »
La diversité cognitive reste un univers mal connu de l’entreprise. La dyslexie, par exemple, est relativement bien accompagnée pendant la scolarité mais ce n’est plus le cas dès l’instant où l’on entre dans la vie professionnelle. Il faut bien mesurer la charge mentale que peuvent représenter ces troubles. Ce que vit une personne neuroatypique pour composer avec son environnement est comparable à ce que pourrait ressentir une personne gauchère qu’on forcerait à écrire de la main droite. Prendre en compte ces situations permet de libérer le potentiel des personnes concernées et de contribuer à la performance de l’entreprise.