J'ai le bon profil - Conférence tour Saint-Denis La Réunion
En présence de Flavie Plante, chercheuse associée à ICARE, Directrice générale adjointe de l'EMAP, de Pierre Reynaud, Président AVH Réunion et expert en accessibilité numérique, de Sandrine Scherrier, Responsable des ressources humaines à la SHLMR et de Boris Armance, Président de l'association CLER.
CONFÉRENCE SAINT DENIS DE LA RÉUNION
Le 18 juin 2019
Cette 13ème conférence de l’Agefiph, en partenariat avec Le Monde, est animée par Philippe Dornier, journaliste.
En présence de Flavie Plante, chercheuse associée à ICARE, Directrice générale adjointe de l'EMAP, de Pierre Reynaud, Président AVH Réunion et expert en accessibilité numérique, de Sandrine Scherrier, Responsable des ressources humaines à la SHLMR et de Boris Armance, Président de l'association CLER.
Didier Eyssartier, Directeur Général de l’Agefiph, remercie les partenaires présents qui permettent de montrer la dynamique en place à La Réunion pour accompagner les personnes et les entreprises et ainsi progresser collectivement.
Le but est toujours d’aller plus loin dans la réflexion sur la notion d’inclusion et de changer les regards sur les personnes pour finalement permettre de relever notre défi sociétal et de permettre à chacun de déployer un projet professionnel et de s’épanouir.
L’Agefiph a, dès 2018, fait évoluer ses services et ses aides pour essayer de mieux répondre aux besoins avec la grande nécessité d’accompagner les entreprises en proposant des nouveaux services d’accompagnement et de conseils ; en déployant dans toutes les régions des référents en matière de handicap.
Christophe Castagnet, Délégué Régional Agefiph, enchaîne sur le fait que l’inclusion des personnes handicapées ne relève pas uniquement de la responsabilité des professionnels, mais est un enjeu de société auquel chaque citoyen doit pouvoir contribuer afin que chacune des personnes puisse trouver leur place dans la société.
En tant que professionnel, cette notion d’inclusion ne peut s’entendre que dans le cadre d’un large partenariat qui mobilise l’ensemble des forces économiques et des acteurs du territoire.
Aujourd’hui, à La Réunion, la part des demandeurs d’emploi bénéficiaire de l’obligation d’emploi ne représente « que » 4% de la demande d’emploi totale alors qu’au niveau national c’est entre 8 et 9%. Cependant ce nombre ne cesse de croître depuis plusieurs années et il progresse plus rapidement que la demande d’emplois totale.
75% du public accompagné a un niveau de formation initiale infrabac. Un des enjeux est donc d’élever le niveau de qualification de ces personnes afin de bénéficier d’une inclusion réussie au niveau de la formation qui permettra ensuite d’obtenir une meilleure inclusion professionnelle.
Le pacte régional d’investissement dans les compétences, qui vient d’être signé entre l’Etat et la région, va permettre de mobiliser 254 millions d’euros supplémentaires dans les 4 prochaines années ; ce qui représente globalement 4 500 places supplémentaires par an.
En ce qui concerne les entreprises privées soumises à l’obligation d’emploi à La Réunion, 70% d’entre elles emploient au moins une personne en situation de handicap. Et 35% atteignent ou dépassent leur obligation de 6%. Ces résultats sont encourageants et progressent d’année en année.
Dans le cadre de son plan stratégique, l’Agefiph a souhaité réinternaliser la notion d’informations, de conseils et d’accompagnements des entreprises, et en particulier en direction des TPE et PME qui ne disposent pas de fonction support RH. Aujourd’hui, à La Réunion, ce service à destination des entreprises est opérationnel et les collaboratrices de la délégation sont tous le jours aux côtés de ces entreprises afin de les accompagner dans une réflexion globale de mise en œuvre d’une politique d’emploi de salariés handicapés.
Pierre Reynaud, aveugle depuis l’âge de 5 ans, est très engagé dans la vie associative ; président départemental d’une association qui se bat pour l’autonomie des personnes malvoyantes. Il est également passionné de numérique ; un moyen essentiel pour les personnes malvoyantes de sortir de l’isolement.
Il fut scolarisé dans une école spécialisée, l’une des rares écoles publiques spécialisées pour les personnes malvoyantes et il semblerait qu’il ait été la première personne aveugle scolarisée par l’Education Nationale dans les années 70. Il a ensuite poursuivi en collège ordinaire mais dans une section spécialisée. Au lycée, en milieu ordinaire, c’était la seule personne aveugle en immersion totale. Pour finir, il a effectué des études de kiné dans des écoles spécialisées.
Il a également eu la chance d’avoir un entourage familial qui l’a poussé et lui a ainsi permis d’être là où il en est aujourd’hui.
Pour lui, il n’y a pas de modèle parfait ; tout se complète. Une immersion totale sans moyen spécifique c’est la catastrophe assurée, mais dans les établissements spécialisés on voit tout de suite l’entre soi et on ne vit pas l’inclusion sociale.
Il a ensuite exercé plusieurs métiers ; l’insertion a parfois été difficile en fonction des situations et des personnes qui pouvaient l’entourer. Être handicapé développe l’adaptabilité mais cela demande énormément d’énergie.
L’inclusion dans le numérique a changé sa vie et lui permet d’être autonome. Il a bénéficié de son premier appareil informatique au lycée dans les années 90.
Cependant, le numérique ne sert à rien s’il n’est pas accessible par tous. En effet, la loi de 2005 impose l’accessibilité de tous les sites publics. Actuellement, 90% d’entre eux seraient dans l’inégalité et cela représente un véritable obstacle. Par exemple, certains sites qui demande un catcha (image avec texte qu’il faut recopier), ont décidé de donner la possibilité de lire ces images en version audio mais cela ne précise pas les majuscules ou minuscules. Il est donc compliqué de remplir ce type de formulaire pour un malvoyant. L’accessibilité numérique est un impératif de citoyenneté et un incontournable quel que soit le métier.
Il faut également associer la notion de compétence à la notion de handicap. Et pour s’occuper du handicap il faut également des compétences. Une étude menée par l’Agefiph il y a quelques années, et qui est a priori toujours d’actualité, montre que plus on monte dans la hiérarchie, plus la vision du handicap peut se dégrader : la personne handicapée est « gentille », « courageuse », « c’est quelqu’un de bien » mais il « n’est pas compétent ».
Il faut également rappeler que 85% des handicaps sont acquis et 15% sont des accidents de la vie qui provoquent la dépendance. Cela peut donc concerner tout le monde, et chacun peut y être confronté à un moment donné.
Aujourd’hui, grâce au numérique et à ses compétences. P.Reynaud occupe des postes qu’ils n’auraient jamais pu occuper il y a 30 ans. Développer de nouvelles compétences dans le numérique va permettre d’aider les personnes en difficulté à suivre cette tendance. Sinon, ce serait exclure 20% de la population.
En ce qui concerne l’isolement, nous n’imaginons pas à quel point les personnes handicapées peuvent être isolées au sein de notre société : isolement physique, affectif, social, économique.
Pour lui le terme « inclusion » n’est pas forcément clair. Il a donc cherché sur Internet la définition et y a trouvé une utopie extraordinaire. Cependant, lorsque nous mettons toutes les problématiques ensemble : on les noie. A l’inverse, si on isole chaque problématique, cela peut stigmatiser… De plus, il entend beaucoup parler d’inclusion de la part des acteurs dans le handicap mais jamais par les personnes en situation de handicap elles-mêmes. Ces dernières vont avant tout parler d’accessibilité ; sujet existant depuis 1975. En effet, l’inclusion ne peut pas fonctionner sans l’accessibilité : il faut une société accessible pour que l’on puisse travailler ensemble et ainsi parler d’une véritable inclusion sociétale.
Boris Armance, Président de l’association CLER (Club de Loisirs et d’Entraide de la Réunion), est paraplégique depuis un accident de moto en 2008 et se déplace en fauteuil roulant. Il est ainsi devenu intervenant départemental de la sécurité routière (IDSR) et intervient dans les établissements scolaires et dans les entreprises.
Lorsque son accident est survenu, il était âgé de 23 ans et travaillait comme coordinateur de sécurité dans un hôtel à l’île Maurice. Suite à la perte de l’usage de ses deux jambes, il n’a pas pu continuer à exercer son métier et n’a pas bénéficié d’une autre proposition de poste. Il est donc venu en France, car la métropole est plus avancée en termes d’inclusion sociale et professionnelle même si d’énormes adaptations sont à prévoir.
Aujourd’hui, il y a de plus en plus de touristes en situation de handicap mais les lieux accueillants ne sont pas toujours totalement adaptés. Par exemple, il existe régulièrement des rampes pour les personnes à mobilité réduite mais les douches ne bénéficient pas de chaise et de barre d’appui.
Il n’a à ce jour pas retrouvé de travail et est très investit dans le milieu associatif pour faire respecter les normes. Il souhaiterait décrocher un diplôme universitaire en tant que personne spécialiste du handicap afin de mieux adapter la société pour les personnes en situation de handicap (et non l’inverse). Cependant il est difficile pour lui de suivre ces cours car ils se trouvent en métropole et il a besoin de financements pour trouver notamment un logement adapté.
Récemment, il a postulé au sein d’un magasin de matériel sportif. Celui-ci ne lui a jamais répondu. Il a donc décidé de se déplacer directement pour rencontrer les personnes. Sa candidature n’a pas eu de suite car les vestiaires ne sont pas adaptés à son fauteuil roulant malgré le fait que ce bâtiment est bénéficié d’une rénovation récente.
Pour revenir à la sensibilisation routière, il sensibilise sur la drogue, l’alcool, le téléphone au volant, …
Il nous explique le stress que l’on peut avoir au début de parler de son handicap et des difficultés rencontrées au quotidien, mais à force de le faire cela devient plus fluide. Les jeunes qu’il a souvent face à lui ne connaissent rien au handicap, il faut donc les informer de tout ce que cela implique et cela suscite en eux une conscience de la réalité existante et diminue leur insouciance face aux dangers de la route.
Durant ces interventions, il explique comment s’est passé son accident, les circonstances, l’hospitalisation, comment on devient une personne handicapée d’un jour à l’autre ; ce qui implique de passer d’autonome à dépendant.
Il nous parle également d’Ambiance Café, un groupe de parole permettant aux personnes handicapées de parler entre elles et ainsi d’échanger sur les différentes problématiques de chacun. Lorsqu’une personne est en situation de handicap, elles passent par différentes étapes (incompréhension, colère, acceptation, ...) qui peuvent être propres à chacune. Le but étant de couvrir un large panel de problématiques lors de ces rencontres pour ainsi inciter les personnes à faire elles-mêmes certaines démarches et ne pas devenir dépendants d’une tiers personne.
Également, dans le cadre de HandiCapable, il va participer à la montée de Cilaos avec deux autres personnes en fauteuil roulant et des accompagnateurs afin de sensibiliser la population réunionnaise, notamment sur la question de l’isolement des personnes en situation de handicap.
Sandrine Scherrier, est responsable RH à la SHLMR, bailleur social engagé dans l’insertion des travailleurs handicapés via le maintien dans l’emploi, pour les salariés qui découvrent un handicap après plusieurs années de carrière, le recrutement de personnes en situation de handicap, la promotion de cette démarche inclusive.
La SHMLR fête cette année ses 48 ans ; il y a donc un grand nombre de collaborateurs qui sont présents depuis des dizaines d’années avec des problématiques de santé qui évoluent. L’entreprise a donc mis en place une quinzaine d’aménagements depuis trois ans pour les salariés reconnus travailleurs handicapés mais aussi beaucoup d’aménagements matériels (pour les tâches répétitives), des auxiliaires de l’Agefiph pour aider physiquement une personnes plusieurs heures par jour ou par semaine, des changements de postes qui impliquent des formations, mise en place de télétravail, …
Cependant, la SHMLR n’arrive pas à la règle des 6% de salariés en situation de handicap et est un peu au-dessous de 3%. En réalité, il y a plus de personnes en situation de handicap au sein de l’entreprise mais certaines, une fois leurs aménagements mis en place, ne se redéclarent plus comme étant travailleur handicapé. D’autres aussi ne souhaitent pas se déclarer par choix personnel. Pour elle, c’est également cela l’inclusion ; permettre aux personnes de décider elles-mêmes si elles souhaitent se déclarer en situation de handicap ou non.
Actuellement en phase de recrutement, elle peine à trouver des profils de travailleurs handicapés car les personnes ont un niveau de qualification faible. Elle émet l’idée que c’est aussi à eux de modifier leurs démarches de recrutement et ainsi utiliser d’autres moyens ; comme débaucher ces personnes par exemple.
On voit donc qu’il est primordial de revoir l’inclusion dans les formations afin de pouvoir poursuivre cette démarche au sein des entreprises. Il faudrait interroger ces dernières et ainsi former sur les besoins de compétences nécessaires.
Dans le recrutement de la SHMLR, ils ont également mis en place une convention avec l’Agefiph, il y a deux ans, pour accueillir des personnes en situation de handicap en stage. Cette expérience a permis le recrutement de deux personnes.
Ils font également la promotion des actions en participant à des évènements comme la Semaine du handicap et le Duo Day (un jour, un métier en action avec l’Agefiph) qui permet de faire rencontrer un salarié et une personne handicapée à la recherche d’un emploi pour qu’elle puisse découvrir un métier et une entreprise. Une des personnes reçues a beaucoup plus au service dans lequel elle fut intégrée le temps d’une journée et fera donc partie des processus de recrutement lors de la prochaine ouverture de poste.
Pour elle, il est vraiment nécessaire de faire des efforts jusqu’à ce qu’ils n’en soient plus et que cela devienne naturel.
Nous avons mis en place une société sur un modèle économique qui créé des exclusions, c’est donc à nous d’y remédier et de mettre les choses en place. Surtout, il faut envisager les choses dans leur globalité : on ne peut avoir de travail si nous n’avons pas de logement adapté, de transports adaptés, … donc une grande nécessité de mettre en adéquation tous les aspects.
Flavie Plante, chercheur au laboratoire ICARE de l’Université de La Réunion, travaille sur les thèmes de l’inclusion et de l’éthique portés sur des personnes adultes en difficultés et pas seulement des personnes handicapées. Également directrice à L’EMAP, centre de formation en travail social, elle souhaite participer, dans ce centre, à l’intégration des personnes en situation de handicap grâce à un dispositif pédagogique prévu pour cela. A l’EMAP, l’une des missions des travailleurs sociaux est de contribuer à l’inclusion des personnes qui ont traversé ou traversent encore des situations qui vont faire que la société ne va plus être en capacité de composer avec leurs spécificités. Du coup, ces travailleurs sociaux sont amenés à régulièrement travailler avec ces personnes accompagnées pour réfléchir avec elles sur des projets, des actions, afin qu’elles puissent devenir ou redevenir actrices de leur vie. Les travailleurs sociaux ont donc accès à un savoir faire théorique et professionnel qu’ils acquièrent dans les structures sociales ou médico-sociales pour ainsi mieux comprendre les enjeux d’accompagnement.
Au sein du laboratoire de recherches ICARE, elle fait partie d’un programme qui s’appelle « vers une société inclusive ». L’inclusion est parfois un terme à la mode et c’est surtout employé dans le système scolaire où il y a encore beaucoup de choses à développer mais il ne faut pas oublier de parler de la société dans son ensemble. Et l’un des objectifs de ce programme de recherches est de regarder ce qu’il se passe dans les écoles ou à l’université mais aussi ce qu’il se passe en dehors de ces lieux : pour aboutir à des solutions sur comment la société doit s’adapter à nous tous. Une de ses pistes d’entrée est comment faire pour que la reconnaissance des compétences contribue à l’inclusion de ces personnes.
Par défaut de langage, nous parlons de handicap de manière générale alors qu’il y a en réalité une multitude d’handicaps où les situations ne sont pas les mêmes ainsi que les manières de les aborder. Cela implique donc des représentations erronées et négatives et va ainsi compliquer le rapport que l’on va construire entre les personnes. Par exemple dans le milieu professionnel c’est ce qu’il peut contribuer à rendre difficile l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap.
Ce qu’il faut rappeler sur l’insertion professionnelle, c’est la question de la compétence car on veut faciliter cette insertion, on a tendance à faire le plus d’aménagements possibles mais en oubliant les compétences de la personne. En fonction du handicap de la personne, elle ne va pas réussir à définir sa compétence. Pour remédier à cela, l’ESAT va les filmer en train de réaliser les différentes tâches et missions attendues pour montrer la compétence au recruteur. On peut, de cette manière qui ne nécessite pas de beaucoup de moyens, contribuer à changer le regard.
Il faut également faire attention à la discrimination positive. En effet, à trop vouloir bien faire, on va parfois alimenter les situations stigmatisantes. Il faut faire en sorte que la personne à qui on s’adresse ne se sente pas dévalorisée.
L’idéal, en termes de progrès, serait de faire de la sensibilisation dès le plus jeune âge et ainsi faire en sorte que tout le monde soit face au handicap tout au long de sa vie afin de mieux l’appréhender et de changer son regard.