J'ai le bon profil - Conférence tour Dijon
En présence de Chloé Durindel, vice-présidente de l'AHSCuB, Corentin le Guen, joueur en Equipe de France de Rugby fauteuil et président de l'association Les Black Chairs, Pierre Ancet, maître de conférences de philosophie des sciences à l'université de Bourgogne et Christine Huaulme, responsable diversité et égalité des chances chez APRR.
CONFERENCE DIJON
Le 11 avril 2019
10ème étape du Conférence Tour de l’Agefiph, en partenariat avec le journal Le Monde, animée par Patrice Bouillot, journaliste.
En présence de Chloé Durindel, vice-présidente de l'AHSCuB, Corentin le Guen, joueur en Equipe de France de Rugby fauteuil et président de l'association Les Black Chairs, Pierre Ancet, maître de conférences de philosophie des sciences à l'université de Bourgogne et Christine Huaulme, responsable diversité et égalité des chances chez APRR.
Une conférence permettant de réunir un certain nombre de partenaires et d’entendre différents témoignages explorant la notion d’inclusion et ainsi apporter des réflexions nouvelles pour aller plus loin et changer les regards.
Benoît PRZYBYLKO, Délégué régional Agefiph Bourgogne Franche-Comté, rappelle que l’Agefiph est une boîte à outils permettant de répondre à un certain nombre de situations pour favoriser et sécuriser le parcours des personnes en situation de handicap mais également aider les entreprises qui accueillent et insèrent ces personnes. Ces entreprises doivent être en capacité de s’adapter aux besoins et d’intégrer les personnes dans toutes les étapes : des dispositifs de droit commun qui doivent être accessibles.
Le propos de cette matinée est de délibérer sur la notion d’inclusion des personnes en situation de handicap.
Pierre ANCET, philosophe, maître de conférences de philosophie des sciences à l’Université de Bourgogne, se définit comme un philosophe du handicap et a écrit deux ouvrages qui traitent de cette question. Il intervient également dans le monde de l’entreprise.
Il y a assez peu de philosophe du handicap en France : environ 5 à travailler ce sujet. Ce dernier lui tient à cœur et doit se développer.
Il définit cette philosophie du handicap comme étant l’élaboration des éléments de description de l’expérience intérieur des personnes en situation de handicap. Nous pouvons prendre comme référence à cela, La lettre des aveugles à l’usage de ceux qui voient de Diderot.
Lorsque l’on parle d’inclusion, il imagine une forme carrée et une personne qui arrive en rond et ne peut donc pas rentrer dans ce carré. On va donc essayer de forcer pour l’inclure. Dans la notion d’inclusion, soit on demande à la personne de se faire toute petite pour rentrer dans les normes de la société, soit on change la forme éventuellement « on met du rond dans ce qui est un peu trop carré » : on assouplit la possibilité des rapports entre les personnes. Pour inclure, il faut également accepter que chacun doit faire sa part.
Ce qui exclut c’est notre difficulté à accepter les différences et à reconnaître les capacités. Nous avons l’incapacité d’imaginer que quelqu’un qui a une différence physique frappante au premier regard, n’ai pas de difficulté dans le domaine du travail intellectuel par exemple.
Christine HUAULME, responsable des ressources humaines chargée de la diversité et égalité des chances au siège de la société de l’APRR, mène dans l’entreprise des actions contre les discriminations et pour la promotion de la diversité. Au sein de cette société, ils sont toujours au stade de l’intégration.
La société à une démarche diversité et égalité des chances pour satisfaire à certaines obligations légales (femmes/hommes, séniors/jeunes, handicap). Elle a aujourd’hui la mission de déployer les différents accords signés afin d’avoir une approche globale, avec comme cœur le recrutement à compétences égales, et réfléchir comment le faire sans discriminer. Le handicap a été l’un des premiers piliers qu’ils ont développés.
En 2010, ils ont signé une convention avec l’Agefiph, ce qui leur a permis de bâtir un plan d’actions et de mettre en place, au niveau de l’entreprise, une discussion sur le handicap.
L’entreprise a donc un recul d’une dizaine d’années d’actions et on y voit des évolutions ; elle a multiplié les temps de rencontres avec les personnes en situation de handicap et les temps d’accueil mais aussi une mise en place d’actions spécifiques pour faire connaître les différents handicaps (dans le cadre de la semaine du handicap qui est un évènement important pour l’entreprise).
L’entreprise est labellisée « diversité » : tous les 2 ans il y a des audits qui portent sur la non-discrimination et donc le regard qu’il peut y avoir.
L’accompagnement de l’équipe est également indispensable et les personnes handicapées souhaitent également que l’on les traite comme des personnes comme les autres.
Le fait de prendre ces thématiques fait que l’on démystifie et ainsi le regard n’est plus le même.
L’entreprise est, aujourd’hui, à 5,6% en termes d’emploi de personnes handicapées, alors qu’elle était à 2% il y a 10 ans.
Les arrivées des personnes handicapées changent les relations dans l’entreprise ; il va y avoir plus de communication, un intérêt vis-à-vis de l’autre, … et tout cela créé de la valeur dans l’entreprise.
Christine HUAULME à monter des formations auprès des collaborateurs sur le regard et l’accueil des personnes en situation de handicap. Ce programme permet de lutter contre les stéréotypes et les préjugés en vue de prévenir les discriminations. Il est destiné à l’ensemble des salariés du groupe APRR (3500 personnes) et se constitue de plusieurs scénettes du quotidien d’un salarié ; il faut alors trouver où le dialogue n’est pas conforme aux règles que l’on souhaite avoir dans l’entreprise.
Cette formation a été lancé fin 2018 et 700 personnes y ont déjà participé. Il y a une très bonne réception, de la part des collaborateurs, par son côté ludique et qui amène à une réflexion tout en rappelant les règles de la vie en communauté.
Corentin LE GUEN, joueur de rugby fauteuil au sein de l’équipe de France, a créé il y a quelques années l’association « Les blacks chairs » dont la vocation est d’accompagner les joueurs au-delà du sport et en particulier dans leur insertion dans le monde du travail.
Cette association a à la base été créée pour financer les joueurs mais ces derniers n’avaient plus de travail en raison de leur situation de handicap. De plus, pour se rendre aux entraînements, certains n’avaient pas les véhicules adaptés et pas assez de moyens financiers. Face à ces difficultés, l’association a décidé d’aider ces personnes à trouver un emploi en faisant comprendre aux entreprises que l’inclusion des personnes en situation de handicap dans leur milieu était très importante pour la personne mais également pour les collaborateurs et ainsi « redorer » l’image de l’entreprise. Le principal problème au sein des entreprises est qu’elles font la différence entre les « valides » et les personnes en situation de handicap. Il y a également beaucoup d’appréhension quant à la fatigue, aux aménagements de poste qui peuvent parfois être assez pénibles et compliqué mais ils arrivent tout de même à les faire recruter en créant un véritable échange, et en répondant à toutes les questions que les recruteurs peuvent avoir.
Chloé DURINDEL, vice-présidente de l’association AHSCUB (Association HandiSport et Culture de l’Université de Bourgogne) et jeune diplômée de cette Université, est aujourd’hui à la recherche d’un emploi en particulier dans le monde associatif.
Elle fait une différence entre l’inclusion et l’intégration. En effet, en France nous sommes plus dans une logique d’intégration depuis un petit moment et nous commençons seulement à parler d’inclusion.
L’intégration est le fait de prendre en compte l’existence des personnes handicapées avec la mise en place de certains dispositifs (exemple : des classes spécialisées pour intégrer les élèves en situation de handicap dans les établissements). Alors que l’inclusion est le fait d’avoir conscience que ces personnes sont présentes mais ce n’est pas un facteur de discrimination et c’est quelque chose qui devient transparent, non visible.
Elle est allée à l’université à l’étranger, en Irlande notamment, et a vraiment vu la différence entre la politique d’intégration et la politique d’inclusion.
Corentin LE GUEN, revient sur ce point des différentes évolutions plus poussées qu’en France. En Australie, les transports en commun et les bâtiments sont tous accessibles. Par exemple, en France pour trouver une auberge de jeunesse accessible c’est très compliqué alors qu’en Australie elles le sont toutes et les établissements ne le mentionnent même plus car c’est quelque chose de normal. Pour les taxis, un sur deux sont accessibles pour les personnes handicapées, c’est loin d’être le cas en France.
Pour Pierre ANCET, on confond totalement l’inclusion et l’intégration. Par exemple, le fait de concevoir des bâtiments d’abord pour les valides et ensuite de les aménager pour les personnes handicapées est typiquement ce qu’on ne devrait pas faire.
Il faut aussi changer le regard car à l’étranger ont peut percevoir cette indifférence du regard. Ce dernier est culturel ; nous n’avons pas suffisamment à faire avec des personnes en situation de handicap et nous ne sommes pas habitués à voir et échanger avec ces personnes. C’est ici que les ressources humaines ont une certaine importance pour amener à changer ce regard et développer cette capacité d’inclure, de comprendre et d’accepter.
Ce qu’on appelle « situation de handicap » c’est la situation sociale dans son ensemble : à la fois l’atteinte du corps, la méconnaissance des capacités et les aspects sociaux : les compensations humaines et les compensations techniques.
Il rappel également que 80% des handicaps sont invisibles.
Lorsque l’on parle de l’inclusion, on ne parle pas uniquement des personnes en situation de handicap. Ceux qui se pensent ordinaires sont une minorité dans une société où nous parlons d’inclusion également pour les hommes/femmes, les orientations sexuelles, …
Il y a 150 ans en arrière, les femmes n’étaient pas correctement intégrées dans la société car on considérait que, du fait de leur condition physique, elles n’étaient pas capables d’avoir des idées politiques, de voter, d’avoir des emplois autres que domestique et cela car, par nature, elles ne sont pas faites comme les hommes. Et c’est le « par nature » qui est intéressant car dans le champ du handicap on réduit également ces personnes à leur condition physique : elles n’ont pas les mêmes capacités.
On essaye de justifier des choses qui sont culturelles par des choses qui seraient par nature ou contre nature.
De plus, la notion d’égalité, fondatrice au sein de notre république, doit être la finalité. Pour l’égalité des chances, il faut de base partir sur la notion d’équité. Nous ne sommes pas égaux en nature : nous naissons plus ou moins avec des difficultés. Il faut donner beaucoup plus à celui qui a des difficultés afin qu’il arrive au niveau des autres. Nous avons du mal, culturellement, à le comprendre.
Corentin LE GUEN ajoute que les lois qui doivent passer sont repoussées sans arrêt et elles sont surtout mise en place par des hommes ou des femmes qui ne connaissent pas du tout les situations des personnes handicapées et sont donc pas nécessairement adaptées aux situations réelles. On montre à toutes les personnes que la France essaye de mettre en place des choses et qui finalement n’aboutissent pas et sont constamment repoussées ou ne seront peut-être jamais mise en place.
Il intervient dans les écoles, collèges et lycées. Pour lui, les enfants sont moins formatés ; une personne en fauteuil ne les dérange pas forcément même s’ils n’ont pas l’habitude d’en voir. Il se rend dans les établissements avec des fauteuils et met les enfants en situation de handicap. C’est à ce moment-là qu’ils découvrent les problématiques liées et s’intéressent.
Chloé DURINDEL, partage cette analyse : on s’y prend très tard par rapport à d’autres pays.
Elle constate également un souci de non-représentativité des personnes handicapées ; même dans les films, ces personnes sont jouées par des personnes « valides ». Il faut donc également travailler la médiatisation.
Au niveau de l’université, elle trouve que les choses évoluent dans le bon sens. En effet, le nombre de d’étudiants handicapés évolue. En revanche, au niveau de la mise en pratique il y a beaucoup de questions car la vraie difficulté est que le handicap est personnel (en fonction du vécu de la personne). Certains étudiants cachent leur handicap par appréhension du regard de l’autre mais aussi par la peur de se lancer dans des démarches sans fin pour bénéficier de petits aménagements.
Lors de ces recherches de stage, Chloé a pu constater un comportement non-verbal très fort : gêne, mouvement de recul, ainsi que beaucoup de questions (indiscrètes) posées. Il faut que, à ce moment-là, la personne en situation de handicap soit en capacité de recevoir ces signes discriminatoires.
Actuellement en recherche de travail, elle fait valoir sa reconnaissance de travailleur handicapé et explique son handicap sans souci afin d’éviter toutes questions qui seront posées un jour. Elle n’a pas besoin de bénéficier d’adaptations matérielles particulières mais a besoin d’un mi-temps.
Dans ses différents parcours, elle a constaté la difficulté des autres personnes à comprendre qu’une personne handicapée puisse vouloir être en dehors des circuits prévus.
Mais selon elle, il y a déjà une prise de conscience de la génération qui arrive ; l’inclusion créée l’inclusion.
Pour conclure cet échange, comment pouvons-nous concrètement aller plus loin et plus vite pour faire bouger les choses en termes d’inclusion ?
Pour Corentin LE GUEN il y a beaucoup de choses à mettre en place. Les personnes handicapées doivent être plus écoutées et mises en avant dans la politique, les médias, …
Pour Christine HUAULME, poursuivre les actions qui font qu’il y a un échange entre les personnes « valides » et les personnes handicapées et pas que sur le domaine professionnel. Ainsi, emmener l’ensemble des personnes à aller plus loin et à appréhender le handicap d’une manière différente dans le quotidien.
Pour Pierre ANCET nous avons un énorme retard vis-à-vis des personnes atteintes du syndrome d’Asperger par rapport aux pays anglo-saxons. Il faut rattraper ce retard et construire avec les personnes concernées.
Pour Chloé DURINDEL, la priorité est de former les personnes qui entourent ces personnes en situation de handicap : les managers en entreprises, les professeurs en universités, …