Comment concilier cancer et travail ? Interview d'Evelyne Billot du Centre Georges-François LECLERC
La vie professionnelle d’une personne atteinte d’un cancer est ponctuée d’une succession d’arrêts de travail et de reprise. Les malades sont confrontés à de nombreuses incertitudes concernant leur emploi. Aussi, le retour à l’emploi, pendant ou après les traitements, nécessite d’être anticipé et accompagné. Cependant, trop souvent encore, les malades sont confrontés à une rupture avec leur environnement professionnel.
Quelques chiffres :
- 400 000 nouveaux cancers diagnostiqués chaque année. Parmi les personnes concernées, 160 000 sont en emploi au moment du diagnostic.
- 20% des 18-54 ans en emploi au moment du diagnostic ne travaillent plus après 5 ans.
Rencontre avec Evelyne Billot, Assistante Sociale au Centre Georges-François LECLERC de Dijon.
- Parlez-nous de votre mission en quelques mots.
Le Centre Georges-François Leclerc est l’établissement hospitalier de lutte contre le cancer de référence régionale. C’est un établissement de soins, d’enseignement et de recherche pour des patients provenant de toute la région Bourgogne Franche-Comté. En 2019, le Centre a soigné 23017 patients dont 6567 nouveaux malades.
Au sein du département des soins de support, notre équipe a une mission générale d’amélioration de la qualité de vie des malades en leur apportant des réponses à leurs problématiques sociales tout au long de leur parcours de soins.
La préparation de l’après-cancer est notre priorité et dès l’annonce de la maladie, les patients en activité sont préoccupés par leur situation de travail. En raison de la durée et des effets des traitements, les patients ont des questionnements qui évoluent tout au long de leur parcours de soin et bien au-delà de la rémission de leur maladie.
Le Centre Georges-François Leclerc propose alors aux patients une consultation pluridisciplinaire d’aide à la reprise du travail, animée par un médecin de santé au travail, une psychologue et une assistante sociale hospitalière.
- Quand les personnes que vous rencontrez sont dans la vie active, quelles sont les principales questions qu’elles se posent ? Que craignent-elles le plus ?
Il est important de dire que chaque situation est singulière et qu’il est impossible de généraliser la diversité des problématiques rencontrées par les patients.
Dès le début de la maladie, les patients ont conscience que leur arrêt de travail désorganise l’activité de leur entreprise, leur charge de travail pouvant être répartie sur leurs collègues. Ils peuvent redouter leur manque de performance et la perte future de leur emploi. Cela peut engendrer de l’incertitude et un mal-être chez des patients qui perdent leurs repères et mettent toute leur énergie à combattre la maladie.
La crainte de « tomber » dans la précarité socio- économique est réelle dans la mesure où nombre de personnes ignorent leurs droits. Concrètement, les questions peuvent porter sur les droits aux prestations de prévoyance ou de compléments de salaire. Nous accompagnons les patients dans la mobilisation des dispositifs pour accéder à leurs droits et nous orientons les personnes vers les ressources à leur disposition.
- A quoi sont-elles le plus souvent confrontées sur le plan professionnel ?
Certaines personnes nous font part de leur situation d’isolement et ne pensent pas aux soutiens existants au sein de leur entreprise. Pour garder le lien là encore, nous leurs conseillons de s’adresser à l’interlocuteur qui sera disponible en fonction de leurs besoins : l’encadrement, les collègues d’équipe, le référent handicap, l’assistante sociale du travail, le service des ressources humaines…
Malgré l’incertitude face à l’avenir, nous conseillons aux patients d’être actifs en prenant l’initiative de rester informés des évolutions de l’entreprise, des changements dans l’équipe. Ce peut-être par exemple en demandant le maintien de son accès à sa boite mail professionnelle ou en participant aux temps conviviaux de l’entreprise. L’idée est d’éviter le «décrochage » professionnel et de se sentir toujours appartenir à la vie de l’entreprise.
Afin d’anticiper leur retour au travail, nous conseillons aux patients de demander une visite de pré-reprise auprès de leur médecin du travail. Il s’agit d’une visite d’aide et d’accompagnement progressif à la reprise. Le médecin du travail pourra ainsi étudier avec eux les possibilités et l’organisation de sa reprise de travail. La reprise effective de travail à temps partiel thérapeutique est vivement conseillée avec, selon les besoins, une adaptation du poste de travail préconisée par le médecin du travail.
- Les personnes ont-elles des réticences à révéler leur maladie à leur employeur ?
Concernant l’annonce ou non de son diagnostic de maladie au sein de son entreprise, nous encourageons le salarié malade à réfléchir à une stratégie de communication opportune pour savoir quoi dire de sa maladie ou non, et à qui « dire ou ne pas dire ».
Bien que ces moments soient parfois redoutés, les prises de contact peuvent être finalement des initiatives rassurantes, qui aident le salarié malade à retrouver une place dans l’entreprise et à se projeter dans un avenir de reprise de travail.
- Travailler pendant le parcours de soin est-il possible ? Qui en prend la décision ? Avec quelles solutions ?
De plus en plus d’actifs poursuivent leur travail pendant les traitements contre le cancer. Cela concerne 20 % des salariés et ce, dans un contexte de chronicisation de la maladie. La décision de poursuite de son activité est prise avec le médecin en concertation avec le médecin du travail. Dans ce cas, l’établissement de soin s’adapte et propose des modalités et un planning de soins pour le concilier avec le planning professionnel.
- Quels sont les trois principaux conseils que vous pourriez donner aux employeurs ?
- Anticiper pour mieux s’organiser : nous observons que les retours au travail les plus sereins et le plus réussis ont été préparés par le salarié malade mais aussi par l’entreprise qui a mis en place un protocole de réintégration des salariés après un arrêt de travail de longue durée.
- Trouver le bon moment pour le salarié et l’entreprise : le salarié malade est encouragé à respecter un temps de convalescence nécessaire pour estimer le bon moment de sa reprise afin d’éviter les retours au travail qui se soldent par un nouvel arrêt maladie. Le moment de la reprise doit aussi tenir compte des contraintes de l’organisation de travail.
- Etre à l’écoute des difficultés rencontrées par le collectif de travail qui peut avoir du mal à évoquer la question du cancer, sujet qui demeure « tabou ». Travailler sur les représentations négatives du cancer en créant par exemple des espaces de discussion pourra à la fois rassurer l’équipe de travail et faciliter le retour du salarié malade.
- Quel est votre meilleur souvenir de retour à l’emploi réussi ?
Je pense à la situation d’une patiente qui est atteinte d’une pathologie en cours de traitement depuis une dizaine d’années et pour qui un ensemble de leviers a été actionné pour la maintenir en emploi : la volonté de son encadrement et de ses collègues à la soutenir dans son projet, la mobilisation de son service RH qui facilite les démarches administratives et les contacts avec les partenaires et l’hôpital qui ajuste ses rendez-vous médicaux pour que la patiente puisse se reposer après ses traitements. Tout cela associé à l’énergie farouche de la patiente très investie dans son emploi où elle se sent reconnue et valorisée !
- Le mot de la fin :
L’épreuve du cancer est une expérience inédite de réalisation de nombreux apprentissages. Les personnes malades développent de nouvelles compétences psycho-sociales et des habiletés professionnelles qui sont des atouts inestimables pour elles et pour l’entreprise.
L’épreuve du cancer peut être une source d’occasions d’apprentissages pour tous : le malade bien sûr et également ses collègues et l’ensemble du collectif de travail.